RIRI
Ô Curie, ô renversement des mœurs, pourquoi ai-je tant vécu porteur de cette infamie ?
A moi comtesse de ces lieux,
Descends du ciel et joue moi sur ta flûte un hymne de longue haleine...
Descends Calliope reine des muses,
Réjouis moi les sens, raconte moi les escarpements de Sabine, la fraîcheur de Diane ou les rondeurs de Chloé, fais moi oublier toutes les pitudes qui nous entourent. Viens ici ma Fafa, faut que j’te cause
FAFA
Jj’accours, je vole, mon Riri...
Diocamadone, faut pas t’ennerver comme ça, tu vas me faire une maladie et nous porter la schkoumoune.
Quoisse qui t’arrive mon Riri ?
Pourquoi t’ias pris la Rabbia ?
RIRI
La purée de nous z’aut ma Fafa, c’est c’te’ patos de la Choumarelle, le franci qui dit qui prend pas l’avion pour rentrer chez lui, y prend du saucisson parce qu’il est de Lyon, comme moi je mange le couscous pour aller à la Place d’Armes. C’tenfoiré qui s’appelle Sganarelle y m’a ensulté à moi que le rouge de la honte y m’a monté à la fugure et que j'ai attrapé plein des enflures.
FAFA
Ah mon Riri, toi mon héros, toi qui as le bras qu’il a tant fait le salut militaire et qu’il a levé plein de sacs de pons de terres, toi qu’il a presque travaillé hier et qu’il est à peine fatigué jourd’hui, toi qui supportes les heures implacables de la torride canicule, toi qui aux taureaux lassés par la charrue et à la vagabonde brebis offres la fraîcheur exquise, toi qui vas prendre rang parmi les sources illustres qui jaillissent sur le roc caverneux, bondissantes et babillardes.
Ah mon Riri, je compatis à ton malheur, ma va !... n’as pas peur mon Riri je sais que ti’es pas le roi des chiqueurs.
Quoisse qui t’a dit cte gars qu’tiapelles Narelle, ou Gargamelle Quoisse qui t’a fait ?
RIRI
Y m’a dit ma Fafa, la tombe de mes morts, que l’bon dieu y me lève la langue, y ma dit qui veut plus marier note fille, la Choupette, passe qui parle pas le franci et qu’il est chômeur dans son mitier.
FAFA
Ah Diocadamone, ah rabbia et désespoir, ô vieillesse ennemie, j’comprends pourquoi t’ias c’te fugure, pourqui y s’prend , da ousse qui vient, da ousse qui sort c’te bouffeur de saucisse, j’voudrais bien saoir qu’est ce qui fait ce june homme, si c’est un fonctionnaire et si y touche la gross’somme, qui connaît à son père, qui connaît à sa mère, qui connaît à son onque ?...et d’abord pourquoi y voudrait plus voir notre Choupette, elle qui naguère s’adonnait à cueillir les fleurs dans les prés pour tresser les couronnes qu’elles destinait aux nymphes, elle qui se drape dans sa vertu et ne songe plus qu’à épouser l’irréprochable pureté de l’Olympe ?
RIRI
Il a dit qui veut plus voir Choupette parce que... attends, attends, achpète...il a dit que notre fille c’est une Tchapagate, comme qui dirait une idiome bâtard que pas même tu peux saoir si t’ies pas pied-noir.
Qu’est ce qu’il a pas dit là. Ma fille ! une idiome bâtard ! moi qu’on appelle Riri, dit ridzin, le roi de la merguez prés du cimitiere de Bône, moi qui a été une fois en garde à vue et que la poulice y regardait pas.
Mammamille, ousse qu’elle est la poulitesse, qui ose me déranger pendant la sieste ! A vaincre sans pari on triomphe sans boire, à deux pas d’ici je vais sortir ma pétoire. Putain de sa race, si j’avais pas une anducation bien élevée j’y aurais juré tous ses morts affogués tellement y ma fait peine quand c’est qui m’a dit que Choupette était un idiot batard, elle qui sait de si douces chansons et joue si bien de la cithare, elle pour qui je suis prêt à mourir deux fois si, épargné par les destins, la chère enfant à ce prix me survit, elle qui est plus belle qu’un astre, encore ignorante de l’hymen et pas encore mûre pour les pétulances du mâle.
Qui c’est cuila, ce Sganarelle qui se prétend le valeureux héritier d’une honnête Famille, descendant des héros qui prirent la bastille, contemporain de ceux qui prennent le métro, modèle de tous ceux qui s’tapent l’apéro, mais brave parmi les braves et les vaillants, courant après les cerfs pour illustrer, tel Hannibal, son triomphe dans les cités Ansoniennes, ou après l’hydre renaissante sous les coups d’Hercule, prodige de Colchide ou de Thèbes ? Qui c’est cte patos qui parle le franci pas comme nous z’aut ?
FAFA
T’ias parli comme il faut mon riri, ma t’ias rien compris à quoisse qui t’a dit.
Si t’iavais pas joué aux bizagates quand t’ietais petit, au lieu d’écouter les cours de calcul rentable ou de grand-mère à l’école de Saindi Carnot, t’iaurais su que le Gargamelle qui parle le franci de la Patosie, y comprend pas le tchapagate, ça que tu parles tous les jours. Le tchapagate, mon Riri c’est pas une langue, c’est un idiome.
Mais ça que tu lui as pas dit, c’est que nous z’aut on est fiers, on a pioché dans toutes les langues qui nous entourent, l’arabe, le spagnol, le talien, le maltais, et même dans le franci de Dunkerque à Tamanrasset..
C’est le lierre, apanage des doctes fronts, qui nous hausse au niveau des dieux, c’est un vrai bocage, ce sont les chœurs agiles des nymphes et des satyres qui nous détachent du vulgaire...
Oila, cà qui fallait z’y dire au Garganelle !!
RIRI
Ah ma Fafa, me oilà content... j’ai pas perdu la baraque, dans mon cœur en morceaux,
ma tête y reste intaque. Nous z’aut les Tchapagates on n’est pas des idiots, diocamadone, on parle Idiome.
Désormais il a qu’à bien se tenir le Gargamelle. Choupette fera la merguez à la Choumarelle, face à la banque de France où j’ai pris les accords, la banque fera pas de merguez et moi jf’rai pas le crédit.
Prépare la kémia et l’anisette... ma Fafa Je l’attends pour lui annoncer la nouvelle !!
FAFA
Qué nouvelle mon Riri ?
RIRI
Diocamadone, la purée de ma mère, elle qu’ia pas eu le cirtificat des études parce qui connaissait pas de quoi c’est le Renard et le Corbeau.
( cuila qui l’a laché le fromage rapé dessur son arbre perché).
Va, va, ma fille, j’vais li si dire. Tu peux marcher de partout la tête haute, tout le monde y pourront te lever la calotte, toi tu parles l’idiome sans le saoir.
Va fangoule le patos et vive le pied noir !!! ......... ....Ma, goisse qui fait, porquoi qu’il est pas core là ma fille ? Porquoi y fait attendre àson père, lui qu’il a travaillé toute sa vie à garder le cimitière ? J’ai beau chouffer par la finètre, j’la vois pas en dessur la rue paraître. Il a la sanche que j’ai le mal en mes pieds aussinon j’vais la sarcher, à de bon ! ......... Ba, ba, ba, ba, ba, la oilà ... Comme t’ies belle ma fille ! A la Colonne, pluss que ma Choupette y a pas ! Comme le cimitière de Bône, l’envie de mourir elle te donne, mammamia ! Fafa, apporte la gargoulette que je blanchisse l’anisette. « Voici l’heure où les troupeaux cherchent l’ombre et le frais, voici la source d’une eau
vive pour un homme altéré pendant l’ardeur de la canicule ...heureuse Daphné, ombragez les fontaines de rameaux » et chassez le falso !
CHOUPETTE (essoufflée)
T’ias vu, j’ai fait fissa, Rachida y m’a trouvé au Monoprix à la rue Bugeaud. Y m’a dit que le Sganarelle y voulait casser la carte passeque je parle le tchapagate ... Qui c’est à cuilà ? D’sur mes morts je le connais pas encore, jte jure ! C’est pas avant d’le marier que j’vais le tromper avec un étranger, la purée de moi, c’est lui que j’ai choisi, pas cuilà que j’connais pas! C’est quoi cette cagade, si y cherche la baroufa y va saoir qui je suis, j’vais lui monter l’œil sur la place Marchis ! « Après cet indigne évènement, que toute la terre se change en de profonds abîmes où j’irai me précipiter, a moins qu’Amaryllis face brûler de la verveine et de l’encens, sacrifices magiques qui vont changer le cœur de mon amant ». Oilà c’que j’dis à Sganarelle, d’sur la tête à ma mère !
FAFA
Faut pas t’ennerver comme çà, ma Choupette, tout il est changé, écoute à ton père, lui qu’il a les cheveux blancs à l’étage, bientôt y veut faire le mariage !
RIRI
A de bon ma fille, parole d’ma mère, c’est fini la merguez.
Si tu maries le patos, cuilà qui fait fonctionnaire à la poste et qui l’a toujours la langue qui mouille les timbres à les enveloppes, fini la Choumarelle ou la Colonne, tu vas faire le créponnvy-tet à le Cours, que même Bertagna y va s’tourner la statue pour chouffer ton popotin !Atso !
Le tellectuel de patoisie il a dit quoi c’est le tchapagate, ça qui parle le Binguèche, c’est pas le françi, c’est pas l’arabe, le maltais ou le talien, c’est la parole de Bône que même chez les sanstifiques on l’appelle l’idiome.
Va sarcher le Sganarelle, le fartasse un peu badjoc, dis y que les tchapagates y sont contents d’aoir l’idiome sans le saoir.
Te quiètes pas Choupette, pour fêter çà on va faire une grande cassouela dihiors, vec la kémia, la macaronade, les zlabias et le vin de chez Cassar ! « Et le maître, couché sur l’herbe avec tous ses bergers assemblés, la coupe à la main, il vous invoque, divin Bacchus, en vous offrant les prémices de la liqueur dont son vase est rempli jusqu’au bord. »
La schkoumoune elle a schkappa, à de bon le tchapagate il est le roi, et vive le bônois!
Jean Pierre DUCLOS-APRICO
Choumarelle : quartier populaire de Bône (Annaba )
Patos : (patosie) français de France
Tchapagate : idiome pied noir typique de la région de Bône (Annaba)
Colchide : pays d’Asie Mineure où se trouvait le dragon qui gardait la toison d’or
Ansoniennes : italiennes (nom primitif et poétique)
J’ai utilisé le glossaire de Brua, des histoires de la Seybouse, mes souvenirs et les œuvres de Virgile.